Sens dessus-dessous : comment repenser la hiérarchie verticale aujourd’hui ?

L’intérêt de la hiérarchie

Aujourd’hui, grandir et se structurer, c’est se hiérarchiser. Lorsque l’on parle d’une structure horizontale et participative, on entend immédiatement « mais c’est une petite structure… ».
Notre imaginaire collectif ne démord pas de cette vision de l’entreprise devenue classique : les décisions qui passent forcément par plusieurs personnes, le patron (tyrannique), les cadres (stressés), les employés (déprimés), la réussite liée uniquement à la qualité du dirigeant, des fossés de rémunération…
Cette vision de l’entreprise, c’est celle d’un modèle historique, souvent industriel et grandement hiérarchisé. Un modèle qui semble de plus en plus décalé face aux aspirations des travailleurs.

Mais pourquoi ce modèle-là ?

On ne va pas réécrire l’histoire des organisations (sauf si vous avez deux jours devant vous !). En résumé, la hiérarchisation est une réponse historique à :

  • Le manque d’éducation des travailleurs à l’époque agricole et industrielle
  • La croissance très rapide des organisations à l’ère industrielle
  • La nécessité de contrôle de la qualité industrielle

Et c’est compréhensible. Lorsque les gens manquent d’éducation (et donc de capacité d’analyse, de gestion multi-tâches ou de synthèse), il est difficile de superviser pour faire fonctionner une organisation de 15, 50 ou 500 personnes.
Dans ces conditions-là, on comprend l’utilité de la hiérarchie. Et l’on accepte les sacrifices qui vont avec (procédures plus lentes, amplification des formalités et processus, gestion humaine rigide). Et avec les risques de dérives que cela induit : déresponsabilisation, conflits sociaux, déshumanisation des travailleurs…

Un changement d’époque

Mais aujourd’hui, ces conditions ne sont plus présentes.

La très grande majorité des travailleurs est éduquée. Qu’ils suivent une éducation intellectuelle ou manuelle, courte ou longue, les gens sont aujourd’hui adaptables, préparés, cultivés et motivés.
Et avec cette augmentation du niveau d’éducation viennent un sens de l’autonomie et une volonté de responsabilité. A nos yeux, on prend les choses dans le mauvais sens, quand on croit qu’il faut contrôler les travailleurs parce qu’ils sont démotivés. C’est plutôt parce qu’on les contrôle qu’ils se démotivent.

Même dans des contextes industriels, pourtant le royaume historique de la hiérarchie, on observe aujourd’hui des modèles plus complexes, collaboratifs et autonomes. Toyota a montré comment donner de l’autonomie donne de la fierté au travail, augmente la productivité, réduit les accidents et améliore les processus.
FAVI en France ou Gore (les créateurs du Gore-Tex) aux Etats-Unis ont aussi montré que le concept d’entreprise libérée s’applique parfaitement au monde industriel.

Ensuite, à l’exception de certains secteurs industriels, et des quelques exemples 2.0 (Google ou Apple), la taille des entreprises a diminué, en particulier parce que les outils modernes permettent de travailler en réseau et d’externaliser tout ce qui n’est pas stratégique, et qu’une économie de bulles favorise les petites structures agiles.

Enfin, le secteur industriel ne représente plus la majorité des emplois, et l’entreprise de service se prête très facilement à une organisation plus souple.

Malgré ces avancées, une grande majorité d’entreprises continue de se structurer selon une stricte hiérarchie classique, en acceptant les sacrifices évoqués plus haut, mais sans plus en tirer de vrai avantage. Et beaucoup (trop) de travailleurs souffrent aujourd’hui dans leur travail.
Pourquoi ? Par inertie ? Par pression financière ? Par difficulté à dialoguer avec les collaborateurs ?

Nous pensons que c’est en grande partie par manque de modèles alternatifs. Car ces modèles ne sont ni moins rentables, ni foncièrement plus difficile à superviser.

De la hiérarchie militaire à l’organisation intégralement matricielle, il y a du chemin, et nombre de modèles intermédiaires. Toutes les entreprises ne sont pas faites pour une organisation totalement horizontale, mais toute ne sont certainement pas faites pour une organisation totalement verticale.

Voici donc, modestement, notre cheminement, itératif et progressif, et quelques pistes qui nous semblent prometteuses.

Le fonctionnement de la Cordée

Ranger son ego

Responsable, Assistant, Président semblent être des noms anodins, et il semble naturel de nommer les postes. Mais (et c’est aussi un rôle important), ils servent à classer, et à marquer la progression d’une personne dans la hiérarchie.
De même, il paraît normal de marquer la progression dans l’entreprise par des éléments statutaires : plus grand bureau, assistant(e), voiture de fonction, etc.

Attributs

Mais ces éléments sont tous sauf anodins. En flattant l’ego, ils le nourrissent, et transforment une simple différence de rôle dans l’entreprise en séparation, voire en classement entre les individus. Et ce classement, extérieur au début, est vite intériorisé, pour en arriver à l’impression qu’on est meilleur que l’autre, qu’on vaut mieux que lui, par essence. De là, on peut glisser vers le mépris, la défiance, le contrôle du côté du supérieur, le sentiment d’injustice, la peur de s’exprimer et le contournement des règles du côté du « subordonné » (le mot dit tout).

On porte une grande attention, ici, à avoir les mêmes apparats. Le même cadre de travail (les espaces ouverts des Cordées), les mêmes vêtements, des titres valorisants et surtout pas hiérarchisés (Couteau Suisse, Porte-Voix, Fondateur, Eclaireur).

Faire confiance

Nous croyons que les gens répondent à ce qu’on leur propose. Si l’on traite les gens en enfant (= consommateur), en les couvant ou en leur mentant, ils répondent en se comportant en enfants, capricieux et égoïstes. Si on les traite en adulte, ils répondent en adultes, responsables, généreux et engagés.
Nous pensons que c’est une vérité que l’on démontre quotidiennement dans la relation de la Cordée avec ses membres. Néanmoins, l’ensemble ne tient pas si la relation entre les membres et l’équipe est basée sur la confiance, et que les relations dans l’équipe sont régies par la défiance.

Mais dire que la confiance règne est somme toute une remarque générale, et plutôt superficielle. Plus en profondeur, c’est la vision du rôle du manager qui est en jeu. Comme l’a si bien démontré Jim Collins dans Good to Great, manager par la confiance, c’est considérer que le rôle du manager n’est pas de commander et contrôler, mais de coordonner et cultiver.

On entend par là :

  1. Coordonner
  • les projets, en aidant à poser des priorités et à suivre les besoins des gestionnaires de projet
  • les personnes, pour les aider à gagner du temps et à se souvenir d’un oubli
  • les lieux, pour partager les bonnes pratiques qu’on observe ici ou là
  1. 2. Cultiver
  • la compétence, en laissant se dépatouiller le nouveau (mais en étant là quand il a une question) et en se formant mutuellement en permanence
  • la créativité, en encourageant l’expression de toutes les idées autour d’une table

Fondamentalement, c’est encore là une question d’ego. Il s’agit d’accepter l’idée que l’on n’est pas au-dessus de son équipe, mais à son côté. D’accepter que l’autre n’est pas fainéant, mais veut faire, même s’il a parfois besoin de plusieurs essais. D’accepter que l’autre fera mieux en sachant et en appliquant au contexte local qu’en respectant à la lettre les ordres lancés. Et d’accepter que nos collaborateurs nous valoriseront non parce qu’on a toujours raison, mais parce qu’ils ont raison, et qu’on les a aidés sur le chemin.

Se rappeler l’important

Au démarrage d’un projet, on est naturellement au contact de ses utilisateurs. Mais plus une structure grandit et se hiérarchise, plus la structure s’allonge. Et, plus grave, ce phénomène s’accompagne souvent d’une modification du centre de gravité de l’organisation : on considère bien souvent que les bonnes idées et la clairvoyance se trouvent au sommet de la pyramide.

A nos yeux, l’essentiel est dans la réalité : les utilisateurs. Les personnes les plus centrales de l’organisation sont donc celles qui les côtoient au quotidien, chez nous les Couteaux Suisses. Les autres sont là pour être des communicants, des facilitateurs, des coordinateurs, en un mot des soutiens à cette organisation plus circulaire que pyramidale.

Diviser pour mieux discuter

Nous l’avons déjà évoqué longuement dans cet article. Nous croyons fermement que la taille d’une organisation a un impact sur sa capacité à être optimale, et qu’il faut savoir repenser la croissance comme solution par défaut.

Et si l’on souhaite néanmoins se développer (pour avoir plus d’impact, ou parce qu’on n’a pas encore atteint sa taille optimale), il faut penser le rythme de développement, et recréer des petites structures internes.
Gore l’a bien compris, en décidant de scinder une usine dès qu’elle atteignait 100 personnes. Même si c’était pour recréer la nouvelle usine à 200 mètres de la précédente.

Ruches

A la Cordée, cela prend la forme de la logique de « grappe » territoriale (autour de Lyon, autour de Annecy, autour de Rennes…). On échange plus rapidement, on décide plus rapidement, et on s’adapte bien plus à son contexte local.

Vers le haut ou vers le côté ?

On a intégré, jusque dans les cours aux étudiants, l’idée qu’on ne faisait plus aujourd’hui carrière toute sa vie dans une même entreprise. Voire qu’une carrière réussie rimait avec un changement d’entreprise tous les 2 à 3 ans. C’est souvent la conséquence d’une vision hiérarchisée, où il faut grimper pour réussir, et où on part dès qu’on ne peut grimper en interne.

Et cela peut engendrer un cercle vicieux où les travailleurs s’investissent moins dans leur entreprise, les entreprises s’investissent donc moins dans les travailleurs, et cetera et cetera.

A nos yeux, lorsqu’une structure apporte aux travailleurs ce qu’elle recherche, il est naturel que la personne souhaite contribuer à cette structure sur le long terme. Et la progression peut se faire alors par des pas de côté, en changeant de domaine par exemple, ou en changeant de lieu. Chez nous, c’est un Couteau Suisse qui change de Cordée, qui se spécialise en communication ou qui lance une nouvelle activité.

La vision de la progression « vers le haut » nous paraît néfaste, car elle implique une différence de valeur entre les personnes. Alors qu’on s’enrichit énormément en changeant de métier, mais en considérant que le métier qu’on a quitté a autant de valeur que le sien. Ce qui renforce la vision d’une entreprise circulaire, et non pyramidale.

Mais encore ?

Quelques principes de management bienveillant évoqués ici

Et nous construisons en avançant. De nombreux chantiers sont devant nous :

  • Donner une place aux « anciens » de l’équipe
  • Gérer les changements d’équilibre vie privée – vie professionnelle (comme un congé maternité ou un long voyage d’études)
  • Penser la rémunération, c’est-à-dire la distribution de la valeur, de manière collaborative

Une chose est sûre : on vous en parlera, et on sera heureux d’échanger sur tous ces nouveaux modèles à écrire.

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3 Commentaires

  • Chouette article, intéressant quelle que soit la société, sa taille et son métier (même en industrie 🙂
    Après, une des difficultés est la gestion en parallèle des différentes approches, quand tu arrives dans une structure ou, finalement, une partie des acteurs préfèrent la verticalité, plus simple et rassurante, quand d’autres sont naturellement attirés par une vision plus transverse et collaborative.

    Mais ça fait plaisir à lire !

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