Il arrive parfois que les encordés nous disent que la Cordée leur a ouvert les yeux sur une autre façon de travailler, une nouvelle vision du travail. Curieux, nous avons souhaité nous pencher un peu plus sur la question, pour savoir ce qu’ils voulaient dire par là.
Le travail est ce que vous en faites
S’agissait-il d’apprendre à travailler de manière nomade, ou de redécouvrir la pause goûter ? Non, ces encordés nous disent avoir réalisé que derrière le mot “travail”, on pouvait mettre les valeurs que l’on voulait et qu’elles pouvaient être plus humanistes que celles que l’on associe traditionnellement à cette notion.
Le “monde de l’entreprise”, tel que l’on peut le percevoir dans nos sociétés (dans les médias, dans la parole des politiciens, et dans son périmètre législatif), n’est pas toujours très rose. Régies par la fameuse “main invisible”, la majorité des entreprises sont invitées à ne considérer que leur propre intérêt financier (ou plus exactement celui de leurs actionnaires), selon l’idée que la somme des intérêts particuliers servira l’intérêt commun. Bien des années après la parution de La richesse des nations, d’Adam Smith, nous ne pouvons que constater les effets dévastateurs de cette idée sur notre planète et la condition humaine.
Enfermés dans cette vision, les individus plongent dans ce monde la fleur au bout du fusil et n’en ressortent pas tout le temps indemnes. Le rejet personnel de ce monde et de ses conséquences amène de plus en plus de personnes à se tourner vers l’entrepreneuriat ou le travail indépendant. Est-ce réellement un choix, une envie ? Les générations précédentes et la nôtre ont accepté l’aliénation tant que l’entreprise offrait des protections et du confort, mais l’étiolement du droit du travail ainsi que le délabrement de la logique de pérennité au bénéfice de celle des profits capitalistiques ont eu cet effet : quitte à être précaire, autant que ça ait du sens.
Vers un libéralisme étendu à l’échelle des individus ?
C’est la question que nous pourrions nous poser. Nous dirigerions-nous vers un monde toujours plus smithien, où la main invisible conduirait non une masse d’entreprises mais une masse encore bien plus importante d’individus à suivre leur intérêt économique égoïste, avec dans l’espoir qu’enfin la prophétie se réalise et que nous tendions (enfin) vers l’intérêt commun ?
Si ma raison essaie de me dire que je n’y crois pas, je pense que c’est surtout poussée par mon coeur qui ne ne le souhaite pas. Mais c’est aussi que ce n’est pas le sens de ce que je vois au quotidien : ce que ces travailleurs désillusionnés viennent retrouver chez nous (ou qu’ils trouvent par hasard), ce que notre planète appelle de tous ses voeux, c’est que l’on trouve un sens du commun. Prêtons-nous à rêver : et si nous inversions la prophétie d’Adam Smith ? Et si c’était en servant tous l’intérêt général que nous trouvions chacun notre bonheur individuel ?
Le coworking au service d’un futur (souhaité) du travail
Il a toujours été très difficile pour nous de définir le mot “coworking”, ou ce qu’était la Cordée, car je crois que c’est bien plus que la somme des services que nous mettons à disposition : espaces de travail partagés, événementiel, animation des temps de travail et des temps d’échanges, location de salles de réunion ou garantie d’un Wifi haut-débit… ne seraient rien sans les valeurs que l’on diffuse au quotidien : celles de l’échange, de l’entraide, du partage.
Dans un monde qui se questionne de plus en plus, qui aujourd’hui se cherche, se bat, se débat, nous essayons de créer des îlots de résilience à impact positif. Îlots, car les valeurs humanistes qui nous rassemblent se cuisinent surtout à la sauce locale : nous aimons et souhaitons préserver ce que nous connaissons et côtoyons. Nous sommes proches, nous nous entraidons et nous partageons avec ceux que nous fréquentons et que nous apprécions. Résilience, car l’entraide et le partage réduisent la perméabilité face aux enjeux macro-économiques. Et enfin impact positif, car (c’est ma conviction) il s’agit bien de l’envie de chacun, et que celle-ci ne cherchait peut-être que le bon contexte, le bon environnement pour s’épanouir.
Les acteurs du changement et le futur (souhaité) du monde
Dans ce fameux monde qui se cherche, face à un avenir incertain, j’ai bien le sentiment que c’est le combat commun de tous les acteurs du changement : faire de chaque individu, entreprise ou exploitation, ville ou village, un îlot de résilience à impact positif. Ainsi des circuits-courts ou de la permaculture, du zéro-déchet ou de la démarche DIY (Do It Yourself – Fais-le toi-même), de la dynamique coopérative, des repair-cafés…
À la Cordée, le contexte que nous mettons en place, les rencontres programmées, les initiations organisées sur tel ou tel sujet, les mises en relation faites par les membres de l’équipe ainsi que par les encordés, l’exemplarité que nous essayons de démontrer par nos choix de fournisseurs et nos comportements, invitent naturellement les membres de la Cordée à se rencontrer, mutualiser, échanger, travailler ensemble, questionner leur méthodologie de travail, s’entraider, partager leurs bonnes pratiques… les rendant chacun plus solides dans leur vie professionnelle, plus confiants, plus résilients.
Et si tout cela n’est pour le moment que peu de choses dans un contexte législatif, médiatique et social inadapté, nous voyons bien que ces idées nouvelles font des émules, qu’elles se développent et prennent de l’ampleur, que chaque jour elles touchent plus d’individus, d’entreprises et d’exploitations, de villes et de villages… Qui sait ? Peut-être jusqu’à faire battre le coeur de nos sociétés ?