Gouvernance : La Cordée fait son coming out

Pfiouuuuu par où commencer ? En ce moment, la Cordée bouillonne en interne. Dans l’équipe, les cerveaux s’amusent, les avis fusent, les idées buzzent. En quoi cela représente-t-il une révolution ? On va tenter une explication, sans trop de longueur ou de points d’exclamation (mais pardonnez d’avance notre émotion).

Bref historique

Tout commence en juin 2017 (enfin, tout commence réellement en mars 2011 mais on ne va pas remonter trop loin non plus). Julie et Michael, les deux fondateurs de la Cordée, bousculent un peu l’équipe avec une annonce pas banale, au cours du traditionnel weekend d’équipe estival.

Ils expliquent que, malgré l’horizontalité prônée et vécue à la Cordée, il reste une forte verticalité avec tous deux comme dirigeants (président et directrice générale), décisionnaires, seuls interlocuteurs des investisseurs de la Cordée. Ils aimeraient, à moyen terme, que cela évolue, afin de se libérer de ces obligations et de leur permettre d’envisager un autre avenir s’ils le souhaitent. Leurs envies diffèrent (partir, rester…), mais elles se rejoignent dans la volonté de rendre la Cordée indépendante de la présence des deux fondateurs comme dirigeants.

Sans être une surprise, leur demande n’en demeure pas moins psychologiquement forte et un sacré défi pour l’équipe entière !

Cela va sans dire mais c’est mieux en le disant, les actionnaires de la Cordée ont également été mis au courant de la démarche et attendent avec impatience des propositions de nouveau fonctionnement : nouvelle équipe dirigeante ? Remplacement par quelqu’un ou plusieurs personnes en interne ? Les pistes sont ouvertes…

Vient l’été. Dans les têtes de tout le monde, ça cogite tout autant que ça se repose. Les mois de juillet et août sont un moment propice à l’introspection. Ça cogite particulièrement dans les têtes de deux gais lurons : Hugo et Jérémie. Leur embryon d’idée : mais dites-moi ne serait-ce pas là l’occasion d’une libération de l’entreprise, pleine et entière ? Fervents défenseurs et théoriciens devant l’éternel de la collaboration, de l’horizontalité et de l’entreprise libérée, ils saisissent la balle au bond et se plongent dans de saines lectures.

Un nouveau membre dans l’équipe : Frédéric Laloux

Frédéric ne nous connaît pas, mais il a fait une entrée fracassante dans le quotidien de notre équipe. La lecture de son livre, Reinventing Organizations, a profondément marqué notre duo Hugo-Jérémie pendant l’été. Impatients, des étoiles dans les yeux, ils en proposent la lecture à toute l’équipe en septembre 2017.

Pour tous, c’est un coup de cœur autant qu’un coup de pied monumental. Pour faire bref, Frédéric Laloux a étudié en profondeur 12 organisations qu’il qualifie d’« Opales ».  L’idée générale est que les organisations ont des niveaux de conscience, et fonctionnent selon des paradigmes associés, avec des croyances fortes et des actions conséquentes. Le niveau dit « Opale » est donc le dernier des niveaux auquel peut aspirer une organisation aujourd’hui. Pour comprendre ces degrés de conscience, qui plus est l’opale, nous vous invitons à lire cet ouvrage ! Pour une première approche, voici aussi une conférence sur Reinventing Organizations, par Frédéric Laloux.

Opale ? C’est quoi cette histoire ?

Si nous devions résumer en quelques lignes ce fameux stade de conscience, nous pourrions dire que l’organisation opale place au-dessus de tout le reste sa raison d’être, et considère que s’ils partagent cette raison d’être, alors tous les membres de l’équipe sont autonomes dans la prise de décision, à tous les niveaux.

Prenons pour exemple la société Buurtzorg. C’est une entreprise de soins à domicile présente aux Pays-Bas, dont la raison d’être est le bien-être des patients et le maintien à domicile. À ce titre, les infirmiers et infirmières ont toute la latitude possible et imaginable en termes de décision et d’action : accepter ou non des nouveaux patients, embaucher ou non un nouveau membre dans l’équipe, chambouler les horaires, se former sur de nouvelles techniques, engager des dépenses dans du nouveau matériel… Pour ce faire, les praticiens s’appuient sur des fonctions support réduites au minimum, sans aucun pouvoir décisionnel, présentes uniquement pour soulager les équipes sur leurs actions, faciliter le partage de compétences, intervenir ponctuellement sur de l’aide à la prise de décision (en mode coaching) ou de la résolution de conflit.

Pas de dirigeant décisionnaire, pas de codir, pas de décharge de responsabilité sur une ou plusieurs personnes. Une seule règle : la prise de décision par sollicitation d’avis. Quelqu’un croit que telle ou telle action doit être menée ? Qu’il ou elle n’hésite pas à se lancer et à en étudier la possibilité. Une obligation : demander leur avis consultatif (et non décisionnel) à toutes les personnes qui seront affectées par cette décision, et / ou qui font figure d’expert sur le sujet. Si les avis doivent être pris et étudiés, ils ne sont pas forcément suivis. Le décisionnaire de l’action prend la responsabilité de la décision et de ses résultats auprès de tout le monde.

Oui, mais les décisions de gestion ?

C’est bien beau tout ça, mais vous vous dites peut-être à ce stade que ça ne marche pas pour tout. Imaginons le cas de la Cordée, quid des embauches, des ouvertures, du financement, des décisions sur les rémunérations ou un éventuel licenciement ? Toutes sans exceptions sont gérées par sollicitation d’avis, par tout membre de l’équipe concerné ou intéressé, potentiellement avec l’appui d’un bon mécanisme de résolution de conflit.

À la Cordée ça donne quoi concrètement ?

La lecture de Reinventing Organizations a mené rapidement à un fonctionnement dans l’équipe en groupes de travail. Une réflexion, une action doit être menée ? L’intéressé crée un groupe de travail, que peuvent rejoindre les plus « à fond » sur le sujet.

La notion de « à fond » est importante : on ne rejoint pas un groupe de travail parce qu’on s’y sent obligé, par pression ou par défaut, on le rejoint parce que le sujet nous motive grave ! Sinon, les groupes de travail stagnent, en attente d’une motivation qui ne viendra jamais. Tu peux avoir débarqué dans l’équipe il y a 2 semaines et rejoindre le groupe de travail « Relations investisseurs ». De même, tu peux être un des fondateurs de la Cordée et ne pas être motivé par le sujet. Dans les faits, ces deux affirmations sont vraies ????.

On en est où ?

Il existe à ce jour 147 groupes de travail ouverts, plus ou moins en activité (selon les priorités), sur de nombreux sujets, depuis les boîtes à dons dans les Cordées jusqu’à la structuration juridico-financière de l’entreprise (quelle présidence de remplacement, que voulons-nous pour les statuts à terme…).

Cette communication, on y tenait beaucoup. Il nous semble primordial de partager notre raison d’être avec tout notre écosystème et en premier lieu les encordés. Une seconde révolution pourrait ainsi être opérée. En impliquant l’ensemble des concernés dans les décisions, nous aurons la possibilité de porter plus que notre voix : un mouvement collectif beau et grand.

Et du coup, c’est quoi la raison d’être de la Cordée ?

Vous l’imaginez bien, cette question a été l’objet d’un groupe de travail ! Et la sollicitation d’avis a été portée auprès de toute l’équipe. Vendredi 12 janvier, en préambule de notre weekend d’équipe (hivernal celui-ci), le premier depuis celui de l’« annonce », nous nous sommes tous penchés sur cette question.

Une raison d’être, c’est parfois tellement évident que ça en devient flou. Avons-nous la même idée du principe central et fondamental de la Cordée ? Pourquoi la Cordée ? C’est une question primordiale et pourtant complexe. D’ailleurs, on ne vous donne pas la réponse tout de suite ! Promis on vous la présente vite, dans un nouvel article. Un groupe de travail est dessus. <3

Update : l’article Raison d’être est à présent disponible :).

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10 Commentaires

  • Alors là, bravo ! Je suis moi-même plongé dans Reinventing Organizations et c’est un régal de voir une entreprise que je connais bien (j’en suis client comme encordé) passer concrètement vers le paradigme Opale. Et je peux témoigner que ça se sent au quotidien, dans les locaux-working. La couleur est clairement opale depuis que j’y suis, au moins au niveau de l’ambiance, de ce qui se dégage dans les signaux faibles.

  • Primo un grand merci de nous informer tous, nous les encordés. On n’est pas des clients, on se sent concernés par l’evolution de cette belle structure.
    Seconde, opale, ça parait bien motivant. J’ai connu la Coop, la scic, l’entraide. Opale va plus loin: toujours l’intelligence collective comme météo avec en plus La confiance dans chaque individu. La, l’idée est magnifique. Ça doit marcher avec des bonnes volontés. Mais que se passe t’il quand qu’un est moins motivé, veut gagner plus de fric, se met à jalouser un collègue? Bon j’ai pas encore lu le livre. Mais une carrière pro c’est très long et si on est motivé un moment on peut décrocher à d’autres… vous avez sans doute la réponse…?

    • “La” réponse, pas encore, d’où le caractère très évolutif de notre organisation ! Les inspirations à prendre sont multiples puisque les exemples que tu cites touchent à la fois au recrutement, à la capacité de chacun de trouver sa raison d’être et de s’approprier celle de l’organisation, au coaching, au partage de la valeur, aux mécanismes de résolution de conflit, à la communication non-violente, et bien d’autres… au plaisir d’en discuter avec toi à la Cordée 😉

  • Super ! Ravi de cette déclaration ! Pour une fois, j’ai un peu d’avance… cette lecture m’a beaucoup inspiré il y a déjà plus de 2 ans et on essaye de suivre ces préceptes. J’ai aussi regardé et fait une initiation à Holacracy mais c’est un peu lourd pour une toute petite structure.

    Comme je ne doute pas que vous irez plus vite que nous, je suis preneur d’un prochain article ou d’une réunion ou discussion sur vos retour d’experiences !

    Bonne libération.

  • Bravo ! Ça parait une transformation tout à fait naturelle.

    À BoostInLyon, nous avons eu un peu les mêmes questions, de passer d’une structure assez “top down” à une structure qui assure la collaboration entre beaucoup de partie… Nous venons de la pure association 1901, mais avec la même idée d’être capable de faire plus de choses, en particulier des services $$ mais en gardant l’esprit “non-profit”… La Cordée vient d’ailleurs (de l’entreprise plus “classique”) mais on a l’impression qu’il y a vraiment des choses à faire en devenant plus “coopératif” en effet…

    Nous avons finalement décidé de nous mettre en SCIC, ce qui n’est pas simple, mais qui “colle” assez bien à comment nous nous voyons… Si ça vous intéresse d’en parler, on est toujours dispos.

    Bravo pour tout ce que vous avez fait à Lyon et ailleurs en tout cas. La Cordée est un beau projet, et continue de l’être !

  • Bravo pour ce coming out ! On en attendait pas moins de vous 🙂
    Le premier jour où j’ai franchi la porte de la Cordée Liberté il y a 18 mois j’ai senti une ambiance zen et que des bonnes ondes. C’est particulièrement communicatif…
    L’idée d’être encordée quand vous vous libérez, j’aime :-))
    Grâce à vous, je viens de faire l’acquisition du fameux Reinventing Organizations.

  • Depuis quelques mois que je fréquente la Cordée j’ai toujours trouvé que tout était “aligné” dans cette boite, ce qui est très rare dans les faits (et pas seulement sur le papier 😉 ).
    Là je pense que vous allez encore plus loin, en toute logique avec cet alignement que je ressentais déjà, je dirai même que cela en semble un aboutissement logique.
    Alors déjà bravo pour cette grande cohérence dans tout ce que vous faites et bonne chance pour cette nouvelle phase qui s’ouvre à présent.

    • C’est pour ça il y a deux exemplaires de ce livre à la Cordée de Rennes 😉
      Equipe de la Cordée, juste Bravo et merci pour la transparence et l’esprit ouvert et solidaire! La cordée est une jeune entreprise mais au fait très mature dans son engagement humain. Merci pour cette belle expérience que j’ai la chance de vivre en tant que coworker 🙂
      Cette démarche ouvre à pleins de beaux projets à venir.

  • Chapeau bas à la gouvernance de La Cordée : partager ses réussites tout le monde sait faire – et en général en fait trop … – mais partager ses difficultés ou ses doutes en sollicitant l’esprit collaboratif de ses co-équipiers, bravo ! Comme Caroline, je vais faire l’acquisition de “Reinventing Organizations” de Frédéric Laloux.
    Bel exemple de transparence et d’humilité et je suis certain que cela sera à la fois bénéfique et efficace que de se lancer dans la co-création de la “La Cordée nouvelle vague”.
    Bon courage !

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